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Lionel Christien

A propos de "L’aventure par nature" de Charles-Édouard Harang…

Dernière mise à jour : 11 mai 2021


Charles-Édouard Harang, L’aventure par nature. 100 ans des Scouts et Guides de France, Les Presses d’Ile-de-France, collection « Scoutisme et guidisme », 10 février 2021, 269 pages. Cahier photographies.


L’aventure par nature, une nouvelle histoire générale des Scouts de France, réinterrogés sous un nouveau jour avec les approches particulières de Philippe Laneyrie (1985), Christian Guérin (1997), Christophe Carichon (2007), Yves Combeau (2010 réactualisée 2021) ?

Plus que cela. Une ambitieuse et difficile histoire croisée et comparée des Scouts de France et des Guides de France, devenus une seule association fusionnée SGDF en 2004. La précédente tentative globale, présentation institutionnelle des deux mouvements par un de ses anciens cadres Jean Peyrade, datait de… 1961. Christophe Carichon s’y était essayé, dans le cadre d’un territoire spécifique, pour la Bretagne.

Charles-Édouard Harang a relevé ce défi (paritaire) sans tomber dans le (mauvais) genre à l’occasion du centenaire des Scouts de France, osant s’aventurer sur le territoire mystérieux du deuxième scoutisme, pour nous proposer cette belle étude neuve.


L’auteur connait les Scouts de France. Il a observé deux mouvements catholiques, les S.D.F. et la J.E.C., face à la question coloniale et la décolonisation dans sa thèse d’histoire Sciences-Po Paris soutenue en décembre 2004, publiée sous le titre Quand les jeunes catholiques découvrent le monde. Les mouvements catholiques de jeunesse. De la colonisation à la coopération, 1920-1991 (Cerf, 2010, 436 p.). On retrouvera donc dans L’aventure par nature plusieurs développements sur l’attention portée par le scoutisme catholique sur les thèmes successifs - les inflexions sont révélatrices - de la colonisation, du développement, puis de la coopération tout au long de cette histoire des deux mouvements.

Recensions:



Charles-Édouard Harang, né en 1972, connait aussi les SGDF de l’intérieur : il en a été membre fidèle, responsable local, formateur pédagogique. Un atout, pour comprendre le monde rêvé des scouts ; un risque, pour tenter d’en rendre compte de manière distancée ? Les SGDF, c’est son mouvement, sa famille. L’auteur a confessé dans une interview qu’il a été « très heureux d’en écrire l’histoire. C’est le livre qu’il avait rêvé d’écrire ». Publié par Les Presses d’Ile-de-France (créées par les Scouts de France en 1946), avec le logo SGDF en 4ème de couverture, sans sources ni bibliographie apparente - mais elles existent nombreuses externalisées en ligne sur le site de l’éditeur :

le livre peut laisser perplexe de prime abord.

Une véritable histoire des Scouts et Guides de France ? Proposé à l’auteur par Jean-Jacques Gauthé, directeur éditorial de la collection et membre du Conseil d’administration SGDF, mais non ouvrage de commande de l’institution, le travail est le fruit d’une recherche personnelle libre sans cahier des charges contraignant (hormis un maximum de 300 pages de texte) qui, nous dit l’auteur dans son introduction, « veut dépasser la mémoire forcément partielle et partiale », laissant aux SGDF « la mission de faire mémoire ». On relèvera cependant la curieuse expression « scout-guide », élément de langage interne conçu pour respecter la parité entre membres SGDF, que l’auteur utilise à foison plutôt que le scout et la guide, anachronique de surcroît avant 2004 pour rendre compte de ce qui est mis en œuvre au sein des deux associations des « Scouts de France » et des « Guides de France ».


Une question à propos de ce centenaire : Les Scouts de France et les Guides de France, combien de divisions ? Depuis leur création en 1920 et 1923, combien de jeunes sont passés par ces deux mouvements sur un siècle ? Un million ? Les Guides et Scouts d’Europe pour leur part annoncent sur leur site que 300 000 jeunes seraient passés par leurs rangs depuis un peu plus de 60 ans.


Charles-Édouard Harang axe son propos sur deux grands enjeux, « la nature et la nature humaine », puisque selon lui, aujourd’hui, « les SGDF répondent à leur manière, mais avec une certaine pertinence, au défi du changement climatique et à celui des rapports hommes-femmes. » (p. 9). En seulement 7 chapitres d’une écriture serrée, certains très denses (l’entre-deux guerres où s’affirment les propositions SDF et GDF ; la relance après 1945 où se dessinent les réformes à venir), d’autres peut être trop courts (La difficile reconfiguration des années 1970-90), l’auteur s’est trouvé contraint par un format restrictif : 300 pages, cela va vite. Il présente les grandes lignes de force de l’histoire des deux mouvements, sous l’impulsion des cadres des Q.G. puis « Centres nationaux », et au plus près de la réalité vécue sur le terrain illustrée de courts témoignages collectés par l’auteur depuis plus d’une vingtaine d’années. Le souci de la mise en contexte est net, comme par exemple, l’apparition du thème de la montée de la jeunesse au début des années 1960 (p. 149-151), ainsi que la volonté d’insérer l’histoire des deux mouvements dans les débats du moment dans la société, pour les pouvoirs publics, et les réalisations apostoliques marquantes de l’Église en France. On notera cependant quelques anachronismes, comme se référer à Bob Morane et Sécotine pour les années 1930 (p. 51), parler en 1940 d’un « appel à la résistance » de De Gaulle (p. 88), alors qu’il s’agit d’un appel à résister adressé aux militaires uniquement, convoquer Indiana Jones lorsqu’il s’agit d’annoncer les pages sur les raiders-scouts, « Raiders of the Lost Ark » (p. 132). On remarquera enfin le souci de maintenir la distance en rendant compte sans juger certains des comportements d’acteurs impliqués et de choix de l’institution, au risque de lisser les éclats de voix et les psychodrames qui n’ont pas manqués entre ces militants et militantes engagés jusqu’aux tripes. Les émotions, cela fait aussi partie de l’histoire.


Le premier chapitre, Le temps des fondations, reprend dans les grandes lignes l’histoire connue de la naissance des deux associations. L’auteur met en valeur les Andrée, Aimée, Albertine, Marie, Renée, Violette…, figures laïques féminines fondatrices des Guides de France (les clercs ont été d’une certaine manière volontairement maintenus à distance. Ressortent côté garçon les figures cléricales qui ont porté avec deux généraux les Scouts de France sur les fonts baptismaux, les d’Andréis, Cornette, Sevin, Forestier, Héret, Maréchal, Richaud... Nous avons les femmes ; où sont les chefs laïcs ?


Le très dense et long deuxième chapitre, Plein jeu (1920-39), veut montrer comment le scoutisme de BP a été catholicisé par Sevin et Cornette, comment se sont construites les propositions pédagogiques SDF et GDF avec leurs support (vie rude en plein air, le campisme en pleine nature lieu de réconciliation du corps et de l’âme, les modèles héroïques masculins et féminins mis en valeur d’un « catholicisme de choc » …), la mise en place de la formation des chefs et cheftaines, des revues, et l’importance de l’aventure grâce au développement par Pierre Delsuc du rôle du jeu, ou jeux de rôles dont les SDF ont peut-être la paternité avec leurs mythiques « Grands jeux » mis en livres et en dessins par Jean-Louis Foncine et Pierre Joubert ? S’ensuit la description de la création des pédagogies des branches cadettes (louveteaux et jeannettes) et ainées (La Route, les Feux), de belles pages sur la naissance de la spiritualité particulière du scoutisme, à la fois christocentriqueJésus est le modèle. Il est le premier des éducateurs, le premier des chefs. » p. 73), ascétique (le pèlerinage promu dans les branches aînées), active (le service concret de son prochain) : « Nous campons pour faire une cure de vie chrétienne », Le livre de camp des GDF, 1939 (p. 74). Le chapitre évoque ensuite la question de la fraternité mondiale vécue dans les Jamboree scouts - même si les aumôniers SDF ne trouvent pas ces rassemblements très… catholiques et voient d’un mauvais œil le risque de mélange des religions -, à rebours de l’air du temps alors que l’Europe se prépare à la guerre. Ce chapitre se termine par l’évocation de la prégnance de la « culture coloniale » ambiante sous la IIIème République dont l’acmé est l’exposition de Vincennes en 1931 où les scouts et les guides peuvent rentrer gratuitement s’ils sont en uniforme : ils y sont chez eux. Les colonies, l’aventure, la mission au loin, c’est leur monde imaginaire qui prend corps et vie.


L’épreuve de la guerre : obéir, restaurer, s’engager (1939-45). Ce troisième chapitre n’est pas le plus facile à mettre en perspective en si peu de place. L’auteur réussit cependant en 26 pages nerveuses et intenses à mettre en regard les différentes déclinaisons du scoutisme catholique mobilisé pleinement en 1939 à l’unisson de la nation, puis, la République enterrée sans fleurs ni couronne, triplement encouragé par le régime de Vichy en zone libre (officiellement suspendu mais actif en zone occupée) ; à Londres autour de De Gaulle (et non la particule nobiliaire « de ») ; dans les colonies légalistes vichyssoises ou passées F.F.L. L’auteur évoque ensuite les évolutions des attitudes entre 1940 et 1944 face aux circonstances et au durcissement du régime : soutien inconditionnel au Maréchal et au programme de la Révolution nationale en 1940 (le Vichy paternaliste et familialiste plait aux deux mouvements), révisions et distorsions en 1943-44, mais non retournement de veste (p. 112). « L’apolitisme », qui serait la marque de fabrique des deux mouvements, ce que l’on va discuter, est mis à rude épreuve. Sous couvert de « patriotisme », chacun aurait fait ce qu’il avait à faire parce que Scout de France ou Guide de France sans démériter et faillir à l’honneur, ce que conteste immédiatement Emmanuel Mounier énervé avec son célèbre disqualifiant « scouticisme » (p. 117).


D’où l’épuration a minima sans dire le nom au moment de la réunification des deux mouvements en 1944, moins problématique cependant pour les GDF qui ont réussi à maintenir une unité de leur mouvement malgré la ligne de démarcation. Le chapitre 4, Maintenir le cap (1945-1958) évoque ainsi le grandiose défilé de la victoire de 1945 sur les Champs Élysées sous la figure tutélaire de Lady B.P. agissant comme catharsis. Se met dès lors en place la légende dorée résistancialiste d’un scoutisme nécessairement « résistant » par essence.

Restructurés sans trop de casse apparente, les SDF tournent la page. L’urgence du moment est de trouver une réponse à l’essoufflement de la pédagogie alors que les GDF approfondissent leur proposition avec l’emprunt au courant extérieur du monde catholique des « pédagogies actives » et des recherches sur la psychologie des adolescents. Les épreuves, par trop scolaires et académiques, font place aux preuves des savoir-faire : le manuel Fais tes preuves, 1946. (p. 122). Dans cette perspective, le compagnonnage auprès des GDF du « père » Michel Perrot de la jeune Mission de France à partir de 1948 inscrit les GDF dans le souci d’une « Présence au monde » plus audible ou moins séparée, l’angoisse apostolique du moment. La reformulation de la Loi guide en 1953 sous la conduite de l’Aumônier général et de la jeune Marie-Thérèse Cheroutre est le signe visible de cette attention nouvelle. Le nouveau projet global des Guides de France traditionnel mais aussi désormais clairement émancipateur a ses détracteurs parmi la hiérarchie religieuse, inquiets du risque de dérive ou de contamination dans un contexte difficile entre Rome et l’Église de France (p.120-126), « bras de fer avec les évêques […] résolu à l’amiable » (p. 144).


Sortir de la Cité scoute… L’attention portée par les deux mouvements à « l’enfance inadaptée » à partir de 1945 rejoint les préoccupations des pouvoirs publics : les assistantes sociales sorties des GDF qui s’y investissent sont légions. Les scouts, eux, cherchent dans le raidérisme la solution à leur problème. Histoire connue et rebattue comme mythe et comme réalité, l’innovation pédagogique de Michel Menu (1916-2015) est celle qui a mobilisé le plus de regards historiens, voire de phantasmes. Pour preuve ? Des grands témoins, Menu est celui qui a vu défiler le plus d’enquêteurs chez lui, près d’une dizaine. Si Charles-Édouard Harang n’est pas du nombre des élus, - le voulait-il après tout ? - il rend compte avec l’empathie nécessaire sinon la sympathie de l’expérience Raider et de son promoteur réformiste, en pointant du doigt une inflexion majeure : « Le raider n’est plus, comme le chevalier modèle des éclaireurs des années 1930, tendu vers l’accomplissement chrétien. […]. Le raiderisme sécularise le modèle scout ». (p. 135). Adaptation pédagogique pour un monde en mutations, l’auteur s’inscrit dans le courant d’analyses sinon la vulgate qui lit le raiderisme et les réformes à venir comme une nécessité non discutable dans une évolution générale plus large : le monde bouge, les scouts doivent bouger aussi. Programme auquel s’emploie Michel Rigal venu de la branche Route, à la tête du mouvement à partir de 1953, qui doit gérer en gardien de l’institution les remous politiques et religieux de « L’affaire Jean Muller » (p.140-143), emblématique des tensions internes au sein du mouvement entre branche Route et branche Éclaireur sur fond de Guerre d’Algérie.


1957-1958, c’est le moment des grandes questions : les Scouts de France, les Guides de France, en définitive, pourquoi faire ?


Le chapitre 5, La seconde naissance des Scouts de France et des Guides de France 1958-1985, inscrit d’entrée de jeu ce questionnement dans la perspective rebattue par la plupart des auteurs du renouvellement périodique pédagogique nécessaire, mais en y ajoutant une nouvelle dimension de re-création. Les SDF et GDF réformés, dans l’effervescence d’une Église en concile (p.161-162), une création nouvelle, un corps nouveau, autre chose ? A l’aise pour évoquer les mobiles optimistes des réformateurs autour de François Lebouteux qu’il a rencontré et rendre compte longuement (p. 151-159) de leurs projets réformistes (rupture de la parité, les réformes pédagogiques concomitantes chez les GDF dans le même esprit n’occupent que peu de place, p. 159-161), l’auteur est moins assuré pour évoquer le monde divers et les tentatives variées de ceux, nombreux, qui à l’intérieur des SDF ont choisi de ne pas en être, rapidement synthétisés en une page et demi avec quelques erreurs ou raccourcis (p. 170-171). Un exemple : le groupe autour de la revue Réflexions de Scoutmestres n’a pas donné les Scouts unitaires de France à la Pentecôte 1971. Sur ce point, le lecteur soucieux d’en savoir plus sur le destin des SDF farouchement « unitaires » – c’est le cinquantenaire SUF - se reportera à mon travail initial Nova et vetera. L’éclatement du scoutisme catholique, 1964-1971, et à Yves Combeau qui a repris la question dans son Toujours prêt. Histoire du scoutisme catholique en France, Cerf, 2021, chapitre 12, p. 193-207. Comparativement, alors que ce n’est pas son sujet, l’auteur a la plume plus inspirée pour rendre compte sans caricature du positionnement contre la réforme Pionnier/Rangers et des projets des Guides et Scouts d’Europe (p. 171-175). Renouvellement par le retour aux fondamentaux de B.P. pour les uns, dénaturation et trahison pour les autres, déstructuration par l’irruption violente d’une contestation interne contre l’appareil, ce chapitre est celui de la séquence dure (1964-1975) de l’histoire des SDF, vécue de manière surprenante avec une violence psychologique rare (autant que pendant la guerre de 1939-1945 ?) dans les rapports humains entre les acteurs impliqués en désaccords. Chez les filles, cela se passe un peu plus en douceur, ou de manière moins visible. Une simple et passagère « crise de la quarantaine » vraiment (p. 169), plutôt qu’un éclatement, terme que l’auteur choisi de ne pas employer pour qualifier le moment ? La réforme a-t-elle atteint ses objectifs d’ailleurs, est-ce une réforme réussie ? Si l’historien ne prend position explicitement, alors que l’on peut constater que les effectifs SDF - et aussi GDF - s’effondrent de 50% entre 1963 et 1973 (p. 177), le journaliste aujourd’hui, lui, prend moins de précaution en parlant de « réforme ratée » (Édouard de Mareschal, « Les enfants de Baden-Powell », Le Figaro, 7 avril 2021). Il est vrai ce dernier, rendant compte du Combeau, non du Harang. Jamais réforme pédagogique n’aura fait couler autant d’encre alors que s’approche bientôt son… 60ème anniversaire, ce qui en fait une grand-mère et les pionniers première génération des boomers aujourd’hui. La période qui s’en suit est très difficile pour les deux mouvements qui connaissent « une longue traversée du désert » destructurante avant de réussir à repartir lentement à la fin des années 1970.


Le court sixième chapitre (Énergies nouvelles, à partir de 1975) met en scène la phase de restructuration qui met fin au flou pédagogique avec la remise à l’honneur des 5 buts du scoutisme, la redéfinition claire de la pédagogie de chaque branche, l’écriture d’une Charte, nouveau socle du projet éducatif global (1983). Après une décennie où on a beaucoup délesté et souvent jeté le bébé avec l’eau du bain, revenir aux fondamentaux et aux signes visibles d’appartenance ne va pas de soi. Une anecdote, significative : en 1978, le photographe chargé de faire les clichés du calendrier SDF demande au 3 troupes Rangers d’Arras d’enlever leurs foulards contre l’avis du chef de camp contrarié (Jean-Jacques G.) pour ne paraître qu’en chemise bleue, la photographie retenue pour la couverture du calendrier 1980. Le foulard, signe visible du scoutisme par excellence, est officiellement démodé. Le désir du retour à quelques fondamentaux est ici dans un rapport inversé, la base contre l’institution... L’auteur ne l’évoque pas, la venue du Pape en France en juin 1980 est sur ce point d’une aide sérieuse pour le mouvement dans son processus de re-visibilisation, aussi bien à Notre-Dame qu’au Bourget où les premières places lui sont réservées par un Épiscopat reconnaissant par principe. Il fallait donner à voir, et peut-être voir d’abord pour eux-même, que les Scouts de France existaient encore, avec leurs chemises neuves de couleur vives fraiches sorties d’un réassort de leur boutique PromoScout, et qu’ils avaient redressé la barre.


Le dernier chapitre (Chap. 7 : Élargir l’espace de la tente) nous conduit vers les enjeux et les réalités de la proposition SGDF aujourd’hui. L’auteur nous entraine sur le terrain risqué de l’histoire immédiate. Hasard de l’édition, mais convergence du calendrier mémoriel, deux ouvrages se proposent de dire ce qu’il en est aujourd’hui de la dimension chrétienne annoncée et vécue au sein des Scouts et Guides de France. L’un fort mal reçu, pour le moins, et fortement discuté, sinon vilipendé. Les SGDF sont-ils (encore) catholiques ou vont-ils le (re)devenir ?... Le sujet serait donc sensible si on en croit les remous d’une certaine lettre de clercs impliqués et d’une certaine émission déprogrammée d’une chaine « catho ». Combeau versus Harang ? Et vice-versa ? L’un complète-t-il l’autre ? Le second répond-il au premier ? Le lecteur se fera son opinion par lui-même. Ce n’est plus du domaine de l’histoire mais du débat apolégétique ou ecclesiologique. C’est une autre arène.


Lionel Christien

3 mai 2021


Je me propose de reprendre trois points, le triptyque qui s’impose : Sexe, politique et religion


Le deuxième scoutisme


Le scoutisme au féminin était jusqu’à présent chasse-gardée de Marie-Thérèse Cheroutre (1924-2020). Le combat militant de toute une vie : maintenir l’identité féminine des Guides de France, d’abord comme gardienne de l’institution (Commissaire générale 1953-1979), puis comme historienne quasi-officielle de son ancien mouvement, sujet de nombreuses interventions de tables rondes, colloques, articles… et de sa thèse d’histoire contemporaine soutenue en 2000 sous la direction du professeur Antoine Prost, publiée sous le titre Le scoutisme au féminin. Les Guides de France 1923-1998. (Cerf Histoire, 2002, 628 p.) Un beau portrait de Marie-Thérèse Cheroutre avec images d’archives, par Thierry Casamayor, Archives départementales du Val-de-Marne, 2020, 12mm50 : https://vimeo.com/460930786

Difficile de sortir de la doxa soutenue avec tant d’ardeur par une telle Grande prêtresse de la liturgie mémorielle, signe évident de l’importance des enjeux.

L’auteur s’est déjà aventuré sur le terrain de l’histoire de mentalités et des rapports entre les sexes dans la sphère catholique avec son récent Jeunes filles et jeunes gens catholiques. De la garçonne au mariage pour tous (L’Harmattan, 2018, 414 p.). Il est donc armé sans aucun doute pour questionner le masculin/féminin de son sujet.

Une recension :


Les Scouts de France et l’éternel féminin de leurs sœurs guides ou « l’assignation de genre »... Les choses avaient mal commencé, puisque selon le chanoine Cornette, aumônier-conseil des GDF, qui connait ses classiques grecs (Xénophon, L’économique), « Le scout est pour le dehors, la guide est pour le dedans » (discours devant le cardinal Dubois à l’occasion de la promesse des premières cheftaines, 2 mars 1924, p. 47). Biens de leur époque et dans la mission traditionnelle dévolue par l’Église, aux SDF la mission de former des hommes virils, aux GDF celle de garder « le bon renom de la ménagère française » (carnet guide 1936, p. 47) en formant de parfaites femmes d’intérieur gardienne du foyer et éducatrice des enfants ? La guide est fille de France. Ce principe « renvoie aux assignations de sexe. La jeune fille doit se préparer à être une mère et une épouse avant tout » (p.43) Mais plus subtilement et de manière « potentiellement subversive », les maîtresses femmes qui dirigent les GDF jouent en fait « sur deux tableaux : l’entretien d’une féminité catholique conventionnelle et la formation de jeunes filles à l’autonomie, prêtes à prendre des responsabilités en dehors du foyer » (p. 48). Sans (trop) céder aux sirènes du nouveau genre à la mode, l’histoire genrée qui assigne à tour de bras des « assignations de genre » ou des « assignations de sexe », l’auteur en nous évitant l’écriture genrée cherche à montrer comment tout au long de leur histoire (1923-2004), l’association des Guides de France envers et contre tout (la culture environnante, la société, l’Église et aussi leurs frères scouts SDF) a cherché à promouvoir et à maintenir un projet éducatif féminin différentialiste, sinon féministe, dans une recherche originale voulant former de fortes personnalités féminines (avec leur besoins spécifiques), actives (capables de projets personnels), autonomes (non subordonnées à l’homme), militantes (capables de s’engager). On ne nait pas guide, on le deviendrait.


L’auteur montre tout au long de son propos, alors que le contexte sur le siècle est passé d’une société patriarcale (pour faire court) à une société (en théorie et avec des dé-illusions nombreuses) d’égalité paritaire entre les deux sexes, le mouvement des Guides de France a cherché à maintenir jusqu’à sa disparition son projet éducatif spécifiquement féminin, avec une constance farouche qu’il faut remarquer. Ayant su résister tant bien que mal à l’introduction massive de la mixité à l’école, dans la « culture jeune » environnante et dans les activités de loisirs à partir du milieu des années 1960, c’est des SDF que vient le coup de grâce lorsque ceux-ci s’ouvrent de manière déloyale au recrutement de filles dans leurs rangs sous couvert d’une pédagogie de circonstance dite de « coéducation » (1982), dont l’auteur ne nous dit guère les éventuelles réussites, problèmes concrets de mixité ou ratés problématiques de son application sur le terrain… Dès lors, les jeux étaient faits, et si les GDF entretiennent la fiction d’une santé sans faille (déni ou auto-persuasion ?) en annonçant pendant une décennie 60 000 membres, au lieu des 18 000 cotisantes réelles (les SDF campent alors pour leur part crânement sur un effectif de 100 000…), c’est de la base que vient le coup de grâce lorsque les guides et leurs cheftaines consultées, bel effort de démocratie directe, ne montrent pas de crainte à la possible ouverture aux garçons (la base contre le sommet), alors que les responsables du mouvement féminin craignent de perdre leur identité spécifiquement féminine en tombant sous la coupe du… premier sexe. La messe est dite. La fusion ou l’alliance des deux mouvements réalisée finalement en 2004 cherche à préserver les susceptibilités (le paritaire discours sémantique « scout-guide ») et redéfinit alors la pédagogie en terme « d’éducation concertée » (p. 220). On notera le geste chevaleresque des Scouts de France pour conclure l’OPA finale : « Symboliquement, ce sont les Scouts de France qui sont dissous et les Guides de France qui les accueillent. » (p. 210), l’association nouvelle prenant pour Centre national celui des GDF. L’histoire des Guides de France, l’histoire d’un projet éducatif original qui n’a pas pu résister aux circonstances du temps ?


Apoliti…scisme ?


Avec le Harang, le Catholique d’abord éloigne-t-il aux confins de l’analyse le Politique aussi ? L’auteur s’aventure peu sur ce terrain-là, si ce n’est par de brèves incursions évacuées par une proclamation « d’apolitisme » qui vire presque à l’incantation. (p. 43, 112… jusqu’au définitif « apolitisme scout-guide » p. 130). Apolitisme officiel, certes, mais neutralité, certes non. Déjà Marie-Thérèse Cheroutre, peut-être gênée, ne s’était guère attardée sur la question. Les GDF ont-elles même une pensée politique ? Selon l’auteur, dans la période des années 1930, « Les deux mouvements cultivent la même vision d’une société malade que seul le catholicisme pourra guérir. […] Si les Scouts et Guides de France ont une opinion sur la société, celle-ci transcende les clivages partisans […] Ils doivent aussi loyauté à l’État qui en est l’émanation (mais pour les plus avertis, pas nécessairement le républicain laïc). La France rêvée est la Chrétienté restaurée, où la loi naturelle assure l’ordre et l’harmonie » (p. 33). Loyauté à l’État ?… Jacques Sevin début 1933, certes en conflit contre la direction laïque SDF qui le débarque au même moment, dénonce violemment le Comité directeur SDF dont la majorité des chefs, selon lui, « sont d’A(ction) F(rançaise) ou teinté de cet esprit » (Christophe Carichon, Scouts et Guides en Bretagne, Yoran Embanner, 2007, p. 109). Qui sont donc « les plus avertis » ? Mystère. Les chefs, des chefs ? Lesquels ? Nationaux, de terrain ? Un exemple (découvert lors de ma recherche montalbanaise pour une biographie du futur animateur des Scouts d’Europe Perig Géraud-Keraod), le capitaine Santolini, qui fonde les SDF à Montauban en 1925 est, devenu commandant, le Président de la Fédération départementale de la Ligue d’Action française de Tarn-et-Garonne en 1933, après la condamnation donc. Ici, une étude locale sur les SDF croisant l’annuaire de la Ligue, montre que la frontière est poreuse. Mais ailleurs, est-ce généralisable ? Une correction à apporter : c’est le journal L’Action française, non la Ligue d’Action française, qui est condamnée en 1926 (p. 18).


Le patriotisme des SDF serait donc « apolitique » par essence. « Si la République n’est pas nommée, parce que le mouvement s’en méfie à l’époque, le scout reste bon citoyen. Le brevet de citoyenneté assure une fidélité aux institutions » (p. 43). Un brevet obtenu, exorcisme civique contre l’infidélité ? A l’âge scout peut-être, mais un peu plus tard au moment de l’éveil aux choses politiques à l’âge routier, à voir.

Le soutien au programme de la Révolution nationale, « apolitique » ? « L’apolitisme des SDF et des GDF leur a permis d’être tout à la fois reconnus et soutenus par Vichy et la France libre, tout à la fois maréchalistes et résistants, clandestins de la zone nord et porte-étendards du patriotisme, du natalisme et du retour à la terre. On serait dans l’erreur, grave erreur, de considérer que les deux mouvements n’ont fait que retourner leur veste au bon moment. On serait tout autant ans l’erreur en prenant ces différentes attitudes comme l’expression d’une inconstance ou d’un manque de convictions. » (p. 112). Les convictions (individuelles et collectives) existent donc, tout le monde en convient, mais comme par miracle civique, elles ne déboucheraient sur aucune traduction politique immédiate ? La préface du Général Lafont, signée es-qualité « Chef du Scoutisme français » dans une brochure du Secrétariat à la famille en 1942, peut laisser perplexe. « […] la France était, depuis 20 ans surtout, envahie par un afflux d’étrangers, venus chez nous chercher une vie plus facile, un enrichissement plus rapide, et dont beaucoup s’étaient retrouvés indésirables dans leur propre pays. C’est par centaine de mille qu’ils venaient d’acquérir la qualité de Français, dont certains de nos fonctionnaires allaient jusqu’à faire commerce. Aussi a-t-on pu voir au début de 1940 nos écoles militaires d’officiers de réserve accueillir de nombreux apatrides, fraichement naturalisés, auxquels des licences et des doctorats, acquis dans nos facultés, ouvraient automatiquement les portes de nos écoles. Par quelle aberration de l’esprit national était-on arrivé à confier à de tels chefs le redoutable honneur de conduire au feu les gars de chez nous ? Il nous faut maintenant refaire la France et la refaire avec des Français. ». Apolitisme ? On peut en discuter.


Les SDF et GDF seraient ensuite naturellement et sans transition enclins à la défense de la République après 1945. Admettons. Sans vision du monde induite dans les propositions pédagogiques SDF ? Puisque l’auteur suggère sans développer que « Menu ne semble pas s’être embarrasser d’expliciter les implications idéologiques » des raiders (p. 137), c’est donc bien qu’il y aurait une idéologie sous-jacente à rechercher dans la proposition pédagogique élitiste. La défense du monde libre contre le communisme ? Avec la publication en feuilletons dans la revue Scout – sous l’autorité de Menu donc - du roman Deux rubans noirs de Pierre Labat (des raiders interviennent pour sauver l’équipage américain d’un dakota tombé en Bavière pendant le blocus de Berlin-Ouest en 1948-49) avant sa sortie au Signe de piste en 1951, l’auteur relève que « les raiders sont plongés dans l’histoire immédiate, celle de la Guerre froide. » (p. 136). Ce n’est pas neutre. Et la défense de l’Empire ? L’arrière-plan politique de l’invention des Raiders en 1949, plus que le modèle du commando de 1944 (p.153), n’est-il pas celui d’une guerre coloniale, la Guerre d’Indochine dont la mention unique pour mémoire (p. 137) ne suffit peut-être pas à rendre compte de l’impact possible pour les SDF de ce combat politique contre le communisme et pour le maintien de la présence française en Orient. La défense de l’Empire et les Raiders-scouts, même combat ? La mort symbolique des Raiders comme mythe, avant leur effacement progressif comme réalité (la dernière troupe investie l’est en 1964), daterait peut-être alors de la chute d’Éliane le 7 mai 1954 à Dien Bien Phu, une guerre coloniale perdue, non du départ en claquant la porte de son promoteur en 1956 et de la confrontation en vraie par les appelés du contingent de la réalité de la guerre, en Algérie… Une remarque à propos de l’affirmation définitive : « la quasi-totalité des raiders ne se sont engagés ensuite dans l’armée pour défendre l’Empire » (p. 153). Il y aurait près de 5000 parcours individuels en question à retracer, les brevetés raiders (dont le fichier reste à retrouver), et à analyser pour confirmer cela. Sur quelles sources documentaires et quel croisement de sources le faire ?


La « crise de la quarantaine » du mouvement masculin contient une forte part d’implications politiques, avouées ou non, phantasmées ou réelles. L’auteur en fait part, à sa manière. « Ce qui est en jeu c’est la conception du rapport à la société. Un catholicisme de droite d’un côté face à un catholicisme ouvert, gaulliste (le chef, l’aménagement du territoire), démocrate-chrétien et social. Bien sûr il y a des catholiques de gauche au sein des Scouts de France et des Guides de France. Ils se retrouvent nombreux à la branche des rangers et chez les jems, dans un courant non-directif » (p. 170). On remarquera que dans un effet asymétrique, parlant des opposants, ceux-ci seraient naturellement « catholiques de droite » alors que les tenants des réformes seraient naturellement d’un « catholicisme ouvert ». Les premiers seraient donc évidemment fermés (à quoi ?) et les seconds pas toujours de gauche, mais… un peu quand même. Dit facilement d’un côté, pourquoi serait-ce si difficile à dire de l’autre ? Quant à l’affirmation « gaulliste », et en même temps, « démocrate-chrétien » les SDF en 1965… On voudrait en savoir plus. La séquence suivante, chez les GDF dès 1969 dans un épicentre lyonnais (p. 177-178) et les SDF en 1970-71 (p. 175-176), est marquée par l’intrusion violente du « gauchisme » dans les débats internes de chefs SDF spontanéistes partisans d’un « scoutisme sans le scoutisme » (p. 176), en rébellion contre la direction centrale dénoncée autoritariste de leurs deux mouvements proches d’un nouvel éclatement. Et là, ce n’est plus de gauche dont il s’agit, mais clairement un cran au-dessus, de la gauche-extrême.


Deux exemples d’implications politiques sous-jacentes, pour compléter ou corriger. En utilisant longuement (p. 173-174) l’article de mars 1965 de Charles Célier publié dans la revue Les Études, ce n’est pas neutre, qui veut déconstruire les critiques des opposants de la réforme Pionniers, Charles-Édouard Harang ne signale pas que son auteur est alors un commissaire national SDF, donc un acteur impliqué gardien de l’institution chargé par Rigal d’allumer des contre-feux au vent de fronde. Ce qui affaiblit la valeur de l’argumentaire en réponse de Célier. Ce même Célier en 1940, alors ravi d’être « au pouvoir » (p. 92) avec son ami Henry Dhavernas (La source, c’est François Bloch-Lainé, Claude Gruson, Hauts fonctionnaires sous l’Occupation, Odile Jacob, 1996, p.161) qui s’était égaré en 1941 dans la même revue en des propos qu’on préférera oublier (cf Nova et vetera…, p. 231). Concernant le devenir de Rigal après avoir passé la main à Émile Visseaux, Charles-Édouard Harang résume un peu vite l’affaire en disant qu’il prend « la responsabilité de l’APEL » (p. 176). Il est en fait barré en 1970 du poste qu’il visait en sortie honorable après la direction de l’institution SDF, le secrétariat général de l’UNAPEL en premier laïc à ce poste. Rigal a payé le prix politique de ses engagements progressistes scouts. Il s’est trouvé des scouts de droite pour lui faire payer après coup ses positions perçues de gauche, comme je crois le démontrer amplement dans Nova et vetera…, p. 313-315.


Les années Pompidou, Giscard, Mitterrand ensuite… ? Seraient-elles sans impact pour les deux mouvements ?


« L’affaire Cottard » (p. 208), le drame de Perros-Guirrec de l’été 1998 évoqué rapidement, peut être l’occasion de s’interroger sur d’éventuels impensés politiques de la sphère scoute. Ne pas dire, c’est aussi une manière de dire. Une absence remarquable, plus explicite qu’un long discours : Philippe Da Costa, le seul responsable national SDF (un long mandat de Commissaire Général 1994-2002) ignoré du texte et de l’index. Peut-on analyser comme un désavœux implicite, cette dé-mise à l’index, qui ne peut être un oubli ? L’ambitieux Da Costa, en ratant la marche de l’entrée dans l’histoire de son propre mouvement, paye-t-il ici un jeu personnel perçu trouble à l’époque dans les remous du drame humain de Perros-Guirrec en jouant – n’est pas Rigal qui veut - la carte de l’interlocuteur privilégié du gouvernement, instrumentalisant ainsi l’institution SDF au service d’un possible plan de carrière sur fond de rumeur d’un restrictif « label scout » en préparation, alors que les autres mouvements scouts à pédagogie « traditionnelle » étaient cloués au pilori ? En donnant à voir de manière trop visible sa fréquentation des couloirs du pouvoir en période de crise, le Commissaire général « mouillait » malgré eux les SDF, rompant ainsi le pacte implicite de… l’apolitisme par vocation, qui serait la marque de fabrique du mouvement selon Harang et que l’absence de Da Costa dans L’aventure par nature du même Harang montrerait a contrario. CQFD. Cela reste une supposition, sinon une sur-interprétation.



Catholique d’abord ?


Beaucoup de « pères » dans L’aventure par nature, très peu de « monsieur l’abbé », un seul (p. 208) ? Les religieux, dominicains, jésuites… peuvent seuls prétendre au titre de « père ».


Après le rêve d’un Ordre scout fer de lance d’un projet de restauration de la chrétienté, dans la droite ligne de l’intransigeantisme catholique anti-libéral, l’auteur replace les questionnements qui se font jour dans le scoutisme catholique en 1944-47 dans une séquence riche de l’histoire de l’Église en France commencée au début de la guerre, faite de questionnements et de créations novatrices, le « Petit concile de l’Église » (p. 117-118). On lira avec profit sur ce moment particulier du catholicisme un article ancien (1978) mais éclairant de René Rémond, « Le catholicisme français pendant la Seconde guerre mondiale »

De là à dire un peu vite que « l’Église, secouée par la nécessité d’une redéfinition de sa mission et de sa présence au monde, abandonne le modèle de la société médiévale idéale trop éloignée de la société technico-scientifique qui semble émerger à la Libération » (p. 117), est-ce vraiment rendre compte d’une période qui a vu la vitalité effective jusqu’en 1950 au moins de véritables nouvelles chrétientés modernes, paroissiales ou même diocésaines (le Nord, le Morbihan…) et l’effervescence des mouvements d’apostolat d’Action catholique (le fameux « Nous referons chrétiens nos frères » de la JOC) ? Après 1945, la mission au goût d’exotisme lointain, c’est fini. La mission est à l’intérieur du pays, au cœur des masses déchristiannisées. C’est là que s’expriment les forces vives du « renouveau missionnaire » face au « problème missionnaire ». Il s’agit de « se tourner résolument vers la société et la Cité » (p. 147). Ce que tente de faire à sa manière Michel Menu avec l’opération « Soleil levant », en proposant début 1956 à chaque troupe raider le challenge de créer une patrouille libre dans un quartier HLM nouvellement construit. Échec de la mission (p. 149). Le long compagnonnage des « pères » Michel Perrot, Jean-Pierre Marchand, Jean Debruynne, de la Mission de France auprès des GDF (à partir de 1948) et des SDF (à partir de 1963) place les deux mouvements aux avants-postes de « l’aile marchante », une aile marquée dans les eaux proches du « courant avancé » de l’Église, le progressisme-chrétien en ses nombreuses déclinaisons. Et l’aumônier général des deux mouvements, l’abbé Perrot, en est un acteur de premier plan, pressenti même pour être le premier vicaire général de la Mission de France, refusé par Rome en 1955 suite à la surprenante mise à l’index d’un de ses livres sur la liturgie jugé trop « avant-gardiste ». Voir notamment p. 160 et 372 dans Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule, Une histoire de la Mission de France. La riposte missionnaire, 1941-2002 (Karthala, Coll. Signe des temps, 2007). La Mission de France, c’est un monde, ce n’est pas toute l’Église de France, seulement un enfant… terrible, et dénoncé comme tel par les opposants aux réformes de 1964. Dire cela, est-ce « une charge complotiste » (p. 173) ? Écrire que les Scouts d’Europe sont liés à l’Office… de Jean Ousset, donc aux milieux du catholicisme intransigeant est une évidence (et c’est vrai dans les faits entre 1964 et 1968) ; dire qu’une part des cadres SDF et GDF seraient proches des milieux progressistes via la Mission de France serait un phantasme complotiste (alors que c’est vrai quasi-institutionnellement entre 1948 et 1973). Du reste, l’auteur ne dit pas explicitement d’où vient Jean Debruynne lorsqu’il expose le positionnement proche des recherches de l’Église latino-américaine du début des années 1970 du successeur de l’abbé Perrot à l’aumônerie générale des deux mouvements (1970-1973), porteur de « la conviction que l’éducation doit être libératrice » (p. 178), sans que l’on comprenne exactement… de quoi. Le point d’orgue de cette Église en recherches est le rassemblement habité sous la conduite de son prophète inspiré Jean Debruynne appelant à la libération de l’homme en Jésus-Christ à La Trivalle, le printemps du Larzac SDF-GDF, pour le coup bien en phase de l’air du temps, un intransigeantisme anti-libéral chrétien, de gauche, cette fois.

Ainsi, selon l’auteur, « Les certitudes ont laissé la place à l’effusion, la formation d’une contre-société chrétienne, à l’action pour le changement de la société. Le christocentrisme trouve ici les chemins de l’effusion de l’esprit. Les charismatiques ne sont pas loin. » (p. 181). La concordance de moment entre l’introduction du « renouveau charismatique » en France (1971-1973) et les espérances du rassemblement de 10 000 chefs et cheftaines à La Trivalle laisserait ainsi entrevoir de possibles passerelles, « l’évangélisme révolutionnaire » pourrait conduire aussi à l’effusion de l’Esprit… A la marge seulement ? Le cas personnel d’un Émile Visseaux s’engageant dans la Communauté du chemin neuf, mais très certainement à Lyon (Le Chemin neuf y existe à partir de septembre 1973), donc après avoir rendu le tablier SDF en 1976 (A vérifier : il m’en a fait part avec chaleur lors d’entretiens 10 décembre 1993 et 7 janvier 1994, mais je n’ai pas pensé à lui demander à partir de quand !), en serait une illustration. Est-ce généralisable à d’autres responsables nationaux ou locaux des deux mouvements ? Des apprentis contestataires seraient ainsi devenus sans transition des attestataires confirmés ? Il faudrait pouvoir confirmer en croisant avec des études d’ampleur, comme Les Communautés nouvelles. Nouveau visage du catholicisme français d’Olivier Landron, (Cerf Histoire, 2004), et les annuaires de chefs-animateurs des années 1970-80. Et vérifier aussi si Des communautés pour les temps difficiles. Néo-ruraux et nouveaux moines (Danièle Hervieu, Bertrand Léger, Le Centurion, 1983) n’ont pas autant sinon plus attirées vers un néo-ruralisme communautaire entré en dissidence avec la modernité ceux passés par La Trivalle, à rebours de l’envoi en mission de Lebouteux vers la ville et le béton à peine quelques années plus tôt. 17-22 ans en 1973, une part des 10 000 chefs et cheftaines de La Trivalle étaient les Pionniers-Rangers de la première génération, ceux qui s’étaient rassemblés en congrès cinq années plus tôt au Bourget les 13-14-15 avril 1968 pour célébrer la... modernité. L’histoire réserve de ces retournements !



Le passionnant dernier chapitre d’histoire immédiate est encore à questionner, ce sera plus tard, en laissant filer d’abord un peu plus d’épaisseur de temps.


Lionel Christien

3 mai 2021

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