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Lionel Christien

A propos de "Toujours prêt. Histoire du scoutisme catholique en France" d'Yves Combeau

Dernière mise à jour : 30 mai 2021

Verses, controverses et disputatio.


Yves Combeau, dominicain passionné par l’histoire du scoutisme parisien dont il tisse patiemment la toile depuis des années en croisant des centaines de parcours individuels, a publié le 24 février 2021 aux Éditions du Cerf un Toujours prêt. Histoire du scoutisme catholique en France. L’ouvrage devait initialement sortir au printemps 2020 à l’occasion du centenaire des Scouts de France, parution reculée en raison de la pandémie.

L’ouvrage est une nouvelle édition remaniée et augmentée d’un opus publié au printemps 2010 sous le titre Nouvelle histoire du scoutisme catholique en France, aux éphémères « Éditions Monceau » dont la diffusion était restée confidentielle. Le propos actualisé se veut une fresque à grands traits de la naissance des Scouts de France en 1920, de leur histoire à travers les moments charnières, affirmation, Guerre 1939-45, âge d’or et « éclatement », puis de la naissance, affirmation, vicissitudes des Scouts unitaires de France et des Scouts d’Europe.

Entreprise ardue que de vouloir saisir en altitude, sans assommer le lecteur, les lignes de force d’un siècle de scoutisme catholique en France en ses différentes composantes et à travers ses nombreuses… crises puisque, comme l’a remarqué Yvon Tranvouez, un observateur avisé de la question (https://books.openedition.org/pur/7263?lang=fr), « Le scoutisme forme des chefs… aptes au combat des chefs ». Le scoutisme catholique est une histoire mouvementée de militants engagés, les chefs dévoués aux jeunes de leurs troupes. On voit défiler grand nombre d’entre eux et leurs aumôniers nationaux, à coup de brefs portraits incisifs dans cette histoire incarnée.

Le style est tonique, la plume alerte, les formules fortes, la mise en perspective remarquable. Les chapitres courts mais denses s’enchainent rapidement, posent clairement les enjeux du moment pour chaque époque, prétendent faire le tour de chaque question en allant à l’essentiel. Une gageure. Rien que la question du scoutisme catholique en 1940-1945 mériterait un livre complet espéré par beaucoup sans être certain d’épuiser la question, peut-être un peu rapidement mise en relief ici. Le livre d’Yves Combeau n’est donc pas une recherche scientifique froide pour spécialistes et initiés, mais un récit vivant accessible à tous, proposant chemin faisant interprétations et réflexions sur fond des débats théologiques du moment. L’auteur a la fibre littéraire. Le texte est agrémenté ici et là de passionnants récits de vie tirés d’autobiographies variées de scouts de base (les grands acteurs nationaux n'ont pas écrits leurs Mémoires ou Plaidoyers pro domo, c'est un mystère) et de quelques découvertes comme l’élan de communautés de vie de jeunes ménages scouts au sortir de la guerre (pp. 121-123).

Le récit est bien documenté (malgré des erreurs concernant des sources, une déception), et pour cause. Le terrain est en effet déjà largement défriché et débattu depuis les travaux de Louis Fontaine, Philippe Laneyrie (1985), Jean-Yves Riou (1987), Christian Guérin (1997), Jean-Jacques Gauthé (1997), Dominique Avon (2001), Christophe Carichon pour la Bretagne (2007), Julien Fuchs pour l'Alsace (2007), moi-même … et dans différents articles, ouvrages collectifs impossibles à citer tant ils sont nombreux. On s’étonnera donc de cette saillie brutale en guise d’avertissement introductif : « La bibliographie historique du scoutisme catholique, sans être abondante, est fournie. Mais serait-ce faire insulte aux auteurs que dire qu’elle n’est pas toujours historique ? Il n’existe pas d’histoire générale du scoutisme catholique ; il n’existe que des histoires particulières dans lesquelles un mouvement se présente lui-même et défend ses choix en rejetant, au moins implicitement, ceux des autres mouvements » (p.8). S’agissant d’ouvrages de commande, le fait est patent, certes, mais finalement rare. Les mouvements, s’ils sont enclins à vouloir contrôler ce que l’on peut ou doit dire de leur histoire en fonction des projets du moment, ne sont guère en capacité de décrire et d’écrire ce qu’il en était 20, 30 ou 40 ans après les faits. Ce n'est pas leur mission.

Le propos se voudrait donc vierge de tout présupposé dans la méthode et dans l’approche mais de là à dire qu’il n’existerait que des « histoires militantes » et que cette « histoire critique, première du genre » (4ème de couverture, de l’éditeur) réparerait la faute… c’est envoyer un peu vite dans le fossé un certain nombre d’humbles tâcherons qui ont tenté d’y voir clair eux aussi, face aux témoins survivants (l’auteur pour sa part en a rencontré peu) en reconstituant patiemment les pièces dispersées du puzzle avec de précieux restes d’archives retrouvées par miracle. La reconnaissance du ventre, cela ne fait pas de mal, surtout lorsqu’on utilise avec délectation ces découvertes et matériaux, que l’on reprenne ou non les analyses des autres. Même si ceux-ci défendent dans leurs écrits, de manière assumée ou non, un point de vue particulier puisque la division du scoutisme catholique « a aussi atteint les historiens. Des discours cohérents mais clos se sont opposés les uns aux autres, posant des affirmations contraires avec la même apparence d’évidence » (p. 153). Certes. Mais dit ainsi par un dominicain, cela pose la question de la légitimité de leur… voix au chapitre. Le fait s’explique aisément : la particularité des « chercheurs » novices ou patentés sur la question scoute catholique est qu’ils sont tous passés par le scoutisme catholique, et donc acteurs anciens ou en activité de leur objet d’étude. Ce n’est pas neutre. Yves Combeau n’échappe pas à la règle canonique. Il est lui-même issu de ce scoutisme-là, et doublement impliqué apostoliquement encore aujourd’hui au sein des SUF à la formation des cadres et comme aumônier d’unité parisienne. Il serait miraculeux que le propos d’Yves Combeau, à qui on voudrait bien donner le Bon Dieu sans confession, soit touché par la grâce sanctifiante de la Sainte Neutralité, et échappe ainsi au travers peccamineux qu’il dénonce, notamment pour la troisième partie qui nous amène jusqu’à la période actuelle où l’auteur s’expose aux risques de l’histoire très contemporaine.


Au vue de la réaction d’une des trois associations étudiées, on voit que la question de ce que l'on dit, de ce que l’on écrit et de ce que l’on peut entendre est toujours aussi sensible… L’auteur le savait, il nous a lui-même prévenu.



Quelques-uns de mes trouvailles et écrits étant mises à contribution, je me permets donc de répondre dans une disputatio amicale avec l’auteur. Je le fais ici à propos des « discours clos » sur « l’éclatement » des Scouts de France et ceux sur les Scouts d’Europe, sujets de mes recherches depuis quelques années.


15 août 1943 Pèlerinage SDF, Compagnons de France, Chantiers de la jeunesse à Notre Dame des Fers, basilique d'Orcival (Puy-de-Dôme,) pour demander le retour des prisonniers.

André Cruiziat, un des organisateurs est en tenue de routier, à la droite du Maréchal Pétain.

La dernière manifestation de l'unité ?



Sur l’éclatement du scoutisme catholique à partir du milieu des Années Soixante


Yves Combeau pose une thèse : les divisions futures en plusieurs mouvements séparés seraient en germe dès le jour du baptême, inscrit dans les conditions de la naissance de la Fédération nationale des Scouts (catholiques) de France en 1920 et aux questions de fond initiales non résolues. Unité apparente donc, mais non unanimisme monolithique, jusqu’à la mise au jour de l’incompatibilité de nature des différents projets portés par les acteurs.

Dans Nova et vetera. L’éclatement du scoutisme catholique en France, 1964-1971, je faisais part (p. 331-332) en guise de conclusion ouverte d’une surprise : comment un mouvement uni autour d’un projet commun pendant plus de 40 ans (donc au moins 5 générations successives de chefs) avait-il pu éclater de manière aussi violente en « factions » rivales et voler en éclats en si peu de temps ? Je n’avais pas trouvé la réponse. J’avais constaté une même communion initiale dans le projet global Scout de France porté par des générations de chefs. Et une rupture dont je recherchais les racines, à la suite de Philippe Laneyrie et de Christian Guérin, dans les choix personnels et/ou collectifs opérés pendant la guerre par les responsables pédagogiques du mouvement et de leurs équipes. A la réflexion, c’est juste après Le Puy 1942 comme l’a montré Dominique Avon que l’on peut voir les premiers signes exprimés jusqu’à la désobéissance de la rupture de l’unité, et ainsi de la distorsion puis de la fracture à venir du mouvement. L’éclatement avait commencé au moins en 1943, non en 1964. Mais dès le berceau ? Inévitablement ? A voir. Dire cela, c’est minorer l’impact de trois événements externes contraignants, trois guerres en quelques années seulement, la Deuxième guerre mondiale, la Guerre d’Algérie, la Guerre froide. Ces événements politiques obligeaient chacun à se situer et à prendre position pour soi-même en fonction de son histoire personnelle, puis pour l’action collective menée au sein des Scouts de France. Le mouvement avait fait auparavant bloc sur une réponse commune en 1924 (Cartel des gauches), 1936 (Front populaire), 1940 (ralliement à Pétain) mais les distorsions apparues en 1943-44, mises sous le boisseau momentanément ensuite (la non-épuration de 1944), finissent par faire craquer la vénérable institution à la fin de la guerre d’Algérie parce que chacun a dû se positionner en son for interne sur les questions essentielles, source de conflit de loyauté (« la justice et le patriotisme, la charité et l’obéissance, l’honneur et paix » p. 136) dans un contexte de plus en plus politisé (décolonisation, montée du marxisme et du communisme mondial, attrait du progressisme chrétien, passage à gauche d’une partie du catholicisme pendant la décennie 70). Qu’on le veuille ou non, une histoire du scoutisme catholique, c’est aussi, et en même temps, une histoire des confrontations politiques au sein de la sphère catholique et donc du positionnement personnel intransigeant à la droite du Père ou à la gauche du Christ des acteurs impliqués…


Sur la naissance et l’affirmation des Scouts d’Europe


Si la rapide mise en perspective de la naissance des Scouts d’Europe en France a le mérite de la clarté, on observera les pudeurs de jeune fille de l’auteur lorsqu’il évoque sans l’expliquer (note 2 p. 210) les dessous du parcours gyrovague du fondateur des Scouts d’Europe en France en 1958, Jean-Claude Alain, qu’on ne peut plus passer sous silence aujourd’hui depuis « l’affaire Matzneff » (décembre 2019) si on prend le courage de fouiller dans les carnets intimes de 1953-62 publiés en 1976, réédité en 1989, de cet auteur sulfureux. Faire de l’histoire, c’est aussi fouiller les poubelles de l’histoire et en rendre compte même si cela sent mauvais. Et l’auteur prend moins de précautions oratoires lorsqu’il s’agit d’évoquer en un mot seulement la figure du leader de remplacement des Scouts d’Europe à la fin 1962 : « Les Géraud-Keraod sont des autonomistes bretons » (p. 212). Dit comme cela sous forme d’accusation au prisme d’un regard parisien sur les questions bretonnes, l’affirmation vue de Bretagne pose problème puisqu’elle réduit le combat depuis 1946 du chef des Scouts Bleimor à son éventuelle traduction politique, alors qu’elle a été avant tout un combat culturel, métapolitique, religieux à la fois. Pour le dire autrement, un rêve totalisant, une utopie, une mystique. Certes, Perig Keraod est sans doute possible un militant nationaliste breton, ce que je me suis attaché à montrer dans de longs chapitres de ma Thèse inachevée de 2004. Mais l’homme est plus qu’un « autonomiste » et ceux qui voudraient mieux comprendre la complexité de la question tireront profit de la lecture de la thèse de Sébastien Carney dirigée par Yvon Tranvouez, publiée aux P.U.R. en 2015 sous le titre : Breiz atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré. Une mystique nationale, 1919-1948.


Concernant l’affirmation et le développement initial des Scouts d’Europe, l’auteur reprend mon axe de recherche principal, ma thèse, ce que j’ai cherché à démontrer dans Nova et vetera puis dans les 5 chapitres rédigés en 1999-2004, à savoir qu’ils s’enclenchent véritablement à la rentrée 1964 en contre-coup de la mise en application de la réforme Pionniers-Rangers et de la rencontre du monde cohérent de la rue des Renaudes, L’Office… Au point de contraindre Perig Keraod à reconfigurer la proposition Scouts d’Europe pour faire face à l’arrivée de transfuges venant des SDF en se donnant pour noble mission de sauver le scoutisme catholique. En reprenant le « dossier Keraod » pour un article « Bretagne, Europe, chrétienté : une utopie contradictoire ? Les scouts Bleimor, 1946-1970 » (dans Yvon Tranvouez, La décomposition des chrétientés occidentales, 1950-2010, C.R.B.C., Université de Brest, 2013), je me suis attaché à montrer que Perig Keraod, en passant des Scouts Bleimor aux Scouts d’Europe, ne s’était pas renié en sacrifiant le scoutisme breton sur l’autel de « la chrétienté » mais avait simplement changé d’étage dans une ambition plus vaste…


Lionel Christien

6 mars 2021


Je me permets ici de faire part de ma surprise concernant l’erreur d’indication de source du document unique et essentiel qui permet de comprendre le dilemme de Keraod, sa longue lettre dactylographiée de 2 pages du 22 février 1965 à Jean-Marie Bouëssel du Bourg, un fidèle d’entre les fidèles Bleimor, publiée (p. 217, note 3) cavalièrement en copié-collé du chapitre 5 de mon texte de 2004. Le document original, une copie-carbone que Keraod adresse à l’Abbé Antoine Le Bars à Ploubazlanec, est entièrement rédigée en breton, lettre que ma femme Dorothée, épouse endurante d’un thésard attardé, a minutieusement traduite lorsque j’ai récupéré en Bretagne en février 1993 les archives Bleimor de monsieur le Recteur, l’abbé Le Bars.

C’était pour rendre à madame ce qui est à ma Dame.








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